Maternité : une course d’obstacles pour les chercheuses en France
Entre précarité, pression à publier et manque de soutien institutionnel, la maternité reste un facteur d’inégalité pour les chercheuses en France.
Et au-delà de l'incidence professionnelle, c'est toute une vie qui en est impactée !
Alors, il y a urgence à transformer la situation.
Des obstacles qui fragilisent toute une vie : témoignages
Les inégalités touchent durement les femmes y compris dans leur intimité.
« J’avais ultra peur d’annoncer ma grossesse à mon directeur de thèse. J’avais peur qu’il croit que je cherchais un prétexte pour gagner du temps. Dans mon labo, une fille avait été blacklistée parce qu’elle était enceinte. Il y a des gens qui disaient qu’elle avait fait exprès pour repousser sa soutenance. »
« Quand j’étais en thèse, j’avais ce désir d’enfant très très fort. J’étais en couple depuis quatre ans avec un homme qui voulait aussi un enfant. On en parlait sérieusement, mais je préférais attendre d’être recrutée. Maintenant, je vais avoir 36 ans, je suis sans mec, car nous nous sommes séparés il y a peu. Je suis toujours sans poste et sans garantie d’en avoir un, un jour. Ça me déprime, car j’ai l’impression d’avoir loupé le coche aussi bien dans ma vie professionnelle que personnelle. »
Que montrent les données ?

Plusieurs travaux académiques convergent :
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Une méta-analyse publiée dans Science Advances (Morgan et al., 2021) montre que la parentalité explique l’essentiel de l’écart de productivité entre femmes et hommes en début de carrière académique. Après un congé maternité, la productivité scientifique des chercheuses baisse à court terme, puis met environ cinq ans à rattraper celle des pères.
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Le CNRS, dans son Plan égalité 2024-2026, reconnaît que le congé maternité et la parentalité peuvent réduire la participation aux projets et la production scientifique. Le dispositif prévoit d’intégrer des périodes de neutralisation dans les évaluations et concours.
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Au Royaume-Uni, une étude publiée par Clifton-Sprigg et al. (2023) montre que la prise effective du congé maternité varie fortement selon les employeurs de l’enseignement supérieur, créant des inégalités d’accès aux droits au sein même du secteur académique.
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Une analyse de l’OCDE (Gender Equality in a Changing World, 2025) confirme que retarder la maternité réduit la pénalité salariale, mais ne l’efface pas : la “motherhood penalty” reste visible dans toutes les trajectoires professionnelles, même parmi les diplômées les plus qualifiées.
Managers et RH : leviers décisifs de l’inclusion dans le monde de la recherche
Dans l’enseignement supérieur et la recherche, la question de la conciliation entre maternité et carrière reste un marqueur puissant des limites actuelles de l’égalité femmes-hommes. Derrière les discours sur la féminisation des équipes académiques et l’inclusion, de nombreuses chercheuses se trouvent confrontées à un dilemme concret : se lancer dans la maternité au risque de pénaliser leur carrière, ou retarder – voire renoncer – pour tenter de s’assurer une stabilité professionnelle.
Ce dilemme n’est pas individuel : il est structurel.
Et sa résolution dépend moins des intentions que de la capacité des managers scientifiques et des services RH à adapter les pratiques.
Comment transformer la situation ?
Pour transformer la situation, les organismes de recherche doivent aller au-delà du principe de bienveillance et activer des leviers structurés :
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Neutraliser les périodes de maternité dans l’évaluation
Que les publications, participations à des projets ou mobilités manquantes pendant cette période ne soient pas perçues comme un manque d’engagement, mais comme un congé légitime.
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Sécuriser le retour
Mettre en place des dispositifs de réintégration professionnelle (réduction de charge temporaire, aides à la reprise, assistant de recherche).
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Harmoniser les régimes
S’assurer que toutes les chercheuses aient accès à des droits homogènes, indépendamment de leur laboratoire ou tutelle.
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Former les encadrants
Apprendre à réagir face aux remarques discriminatoires, à comment gérer les priorités familiales dans un planning scientifique et à lire un CV avec équité.
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Suivre et rendre visibles les résultats
Publier chaque année des données sur : retours après congé maternité, promotions, publications, écarts de rémunération. Ce qui est suivi progresse.
L’égalité femmes-hommes et la féminisation du monde académique ne progresseront pas par la seule conviction.
Elles avanceront par ingénierie managériale, par procédures RH équitables et par indicateurs assumés.
La maternité ne doit plus être un tabou silencieux ou une variable pénalisante : elle doit être reconnue comme un paramètre légitime de carrière, à accompagner et non à dissimuler.
C’est à cette condition que la recherche pourra réellement devenir un milieu d’inclusion durable, où les vocations féminines ne se heurtent plus au choix impossible entre science et maternité.
Sources :
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Morgan, A.C. et al. (2021). The unequal impact of parenthood in academia. Science Advances.
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CNRS (2024). Gender Equality Action Plan 2024-2026.
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Clifton-Sprigg, J. et al. (2023). Maternity Leave Take-up in UK Academia.
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OECD (2025). Gender Equality in a Changing World.
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Doren, C. et al. (2024). New Evidence on the Motherhood Wage Penalty. Demography.
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Le désir de maternité des jeunes chercheuses face à la précarité : se lancer, reporter ou avorter. The Conversation France.